Voyages avec Rimbaud, Kipling, Baffo
Hugo Pratt
Dans les dernières années de sa vie, entre 1991 à 1994, Hugo Pratt choisit d’accompagner d’aquarelles des textes rares d’Arthur Rimbaud, Rudyard Kipling et Giorgio Baffo.
Ces recueils, devenus depuis introuvables, sont rassemblés pour la première fois dans un coffret et accompagnés de préfaces inédites d’un des meilleurs connaisseurs d’Hugo Pratt, Dominique Petitfaux.
L’œuvre de Pratt permet de le deviner, les livres occupèrent une place prépondérante dans sa vie. De sa découverte précoce d’écrivains comme Robert Louis Stevenson et Homère, jusqu’à ses ultimes lectures, souvent très érudites, le célèbre dessinateur n’a eu de cesse tout au long de sa vie de constituer une bibliothèque irradiante, à la mesure de son insatiable curiosité. Au moment de sa mort, cette bibliothèque rassemblait plus de vingt mille ouvrages et avait envahi toutes les pièces de sa maison.
Mais pourquoi, dans le vaste inventaire de ses livres de prédilection, Hugo Pratt a-t-il privilégié des lettres d’Afrique de Rimbaud, des poésies militaires de Kipling et des sonnets érotiques de Baffo, poète vénitien du dix-huitième siècle ? Comme le souligne dans ses préfaces Dominique Petitfaux, le choix inattendu de ces textes en dit beaucoup des goûts littéraires de Pratt mais révèle aussi l’attirance du créateur de Corto Maltese pour des écrivains dont les destins font écho au sien.
L’Éthiopie de Rimbaud et son appel de l’ailleurs, l’enfance coloniale de Kipling et sa culture militaire, la Venise de Baffo et son goût immodéré des femmes… En choisissant des auteurs à la façon d’un portrait chinois, Hugo Pratt nous offre, à la croisée de la littérature et de l’art, l’une de ses dernières et plus intimes invitations au voyage.
À PROPOS DES LETTRES D’AFRIQUE D’ARTHUR RIMBAUD
Les lettres d’Afrique d’Arthur Rimbaud (1854-1891) se rattachent à la dernière partie de la vie du poète, la plus controversée. Écrites entre 1880 et 1891, elles révèlent le quotidien d’un homme parti chercher fortune du côté de la corne d’Afrique et de la péninsule arabique, principalement dans les villes de Harar et d’Aden. Désespérantes pour certains, qui y ont recherché en vain la trace du poète, elles témoignent au contraire pour d’autres de la liberté ultime de celui qui aura préféré la misère des soleils africains à la gloire littéraire.
À PROPOS DES POÉSIES DE RUDYARD KIPLING
L’œuvre de Rudyard Kipling (1865-1936) a connu une fortune diverse. Ses écrits pour la jeunesse le vouent à une longue postérité, notamment grâce à ses Livres de la jungle (1894-1895) et au célèbre poème "Tu seras un homme mon fils" (1910). Il en va autrement pour le reste de l’œuvre, méconnue et souvent jugée comme une célébration conservatrice de l’empire colonial britannique. Le choix de poèmes rassemblés dans cette édition, principalement extraits du recueil Barrack-Room Ballads (1892), témoignent pourtant d’une sensibilité plus complexe et humaniste, concordante avec le bel essai biographique qu’Alberto Manguel a consacré à celui qui fut en 1907 le premier prix Nobel de littérature d’origine anglaise.
À PROPOS DES SONNETS ÉROTIQUES DE GIORGIO BAFFO
Considéré comme l’un des écrivains vénitiens les plus importants du XVIIIe siècle, Giorgio Baffo (1694-1768) occupa une place de notable dans la République de Venise (il en fut à la fois un magistrat et un sénateur) tout en célébrant dans ses écrits Venise et la jouissance des corps. Poète et philosophe libertin : un tel homme ne pouvait que susciter l’intérêt d’Hugo Pratt, qui se pensait plus volontiers vénitien qu’italien (il ne se résolut à vendre son appartement de Venise qu’à la toute fin de sa vie) et dont le parcours fut marqué par les femmes (certaines ont directement inspiré les aquarelles reprises dans le recueil). La traduction des sonnets, reprenant celle établie par Alcide Bonneau en 1884, a été relue et révisée par Jean-Charles Vegliante.
L’Auteur
Hugo Pratt (1927-1995) est l’un des grands maîtres de la bande dessinée. Des années cinquante jusqu’à sa mort, il a construit une œuvre graphique importante et atteint une reconnaissance mondiale grâce au personnage emblématique de Corto Maltese. Dessinateur puissant mais aussi aquarelliste de premier ordre, il a systématiquement nourri ses albums de ses nombreuses lectures, au point d’être présenté souvent comme « l’inventeur » de la littérature dessinée.